mardi 23 mai 2023

Professeure, mais pas que...

Lorsqu'on n'a jamais quitté l'école, en passant d'un côté et de l'autre du pupitre de l'élève, que l'on ignore tout du milieu professionnel (exception faite de l'Ecole, et encore...), réfléchir sur soi pour faire son bilan de compétences, comme déterminer le champ d'actions vers lequel nous portent nos goûts, n'est pas chose aisée, autant qu'il est délicat d'aiguiller les élèves dans leur orientation. C'est pourtant un exercice auquel je vais m'essayer, de la même façon qu'on y incite nos collégiens de 3e qui doivent formuler des vœux d'orientation, plus spécifiquement ceux qui se destinent à soutenir le Parcours Avenir lors de l'épreuve orale de DNB.

Pour emprunter une fameuse formule à Montesquieu (De l'Esprit des lois, chap.V, Livre XI, 1748), si j'avais à soutenir mon Parcours Avenir, voici ce que je dirais :


Née le 9 avril 1982, à Caen, et aînée d'une fratrie de 4, mon enfance, heureuse, est profondément marquée par la maladie : mon père meurt une première fois d'un infarctus foudroyant en 1989. C'est aussi à cette première occasion que j'observe les pompiers en action. Au-delà de la prouesse médicale qui vaut au Pr André Khayat le gros titre de "Premier cœur greffé au CHU de Caen" dans la presse locale, les 24 années de sursis que nous octroie la transplantation relève indéniablement du miracle.

Dans le même temps, mes parents m'inculquent le profond respect de l'uniforme comme de mes professeurs. Qu'ils se soient appelés Mme Blohorn, Mme Repussard, Mme Piel, M. Douesnel, M. Perrot ou M. Sudron, j'ai gardé d'eux non seulement une image inspirante mais encore une admiration très vive.

Très tôt, ma conviction est faite : je veux exercer un métier où je suis au bénéfice de mon prochain, qui me fasse "rendre l'homme meilleur", ou en agissant sur son intellect en me rêvant professeure à l'instar de ceux qui, dans le plaisir de la transmission, m'ont acquis la curiosité d'apprendre, ou en agissant sur le corps en me projetant dans une carrière médicale. Mes ambitions sont alors timides et mesurées : alors que je me vois seulement infirmière, M. Douesnel, en sa qualité de professeur principal, me pousse à viser plus haut, relativement à mes résultats scolaires, et de revoir mes objectifs au fil des ans, en fonction des obstacles, des réussites et des échecs.

C'est ainsi qu'après une Seconde générale sans encombres, j'intègre une Première S. J'ai des facilités dans les matières littéraires, je peine davantage dans les disciplines scientifiques où ma rigueur ne suffit pas pour venir à bout d'un esprit trop scolaire. En revanche, je suis toujours plus émerveillée de comprendre comment fonctionne le corps humain, au point de préciser mes envies de métier : j'ambitionne désormais de devenir sage-femme. De telle sorte de conforter mes bases scientifiques, et avec le conseil de mes professeurs, dont celui de M. Clergeau, professeur de Mathématiques et professeur principal, mes parents et moi faisons le choix d'un redoublement, qui s'avère d'autant plus judicieux que j'obtiens du premier coup mon baccalauréat scientifique, spécialité SVT avec mention. Cette même année de Terminale S, mon professeur de sciences physiques-chimie m'accompagne dans la préparation du Concours d'entrée à l'Ecole de Sages-Femmes de Caen que je passe en avril 2001. Il me faut effectivement prendre un peu d'avance sur le programme dans cette matière pour être en mesure de faire les exercices de Physique et de Chimie qui composent ce concours, en plus de la Biologie et du Français. A raison d'une heure hebdomadaire, ce dont je lui suis d'autant plus reconnaissante, M. Sudron et moi épuisons les annales Sages-Femmes édités chez Masson. Finalement, là où je pensais m'en être sortie honorablement, les résultats s'avèrent bien insuffisants pour entrer en Ecole de Sages-Femmes au sortir de ma Terminale S. C'est dans ces conditions que je prends conscience de la réalité de ce qu'est un concours : il n'est pas suffisant de donner le meilleur de soi, il faut être le premier, ainsi le dépassement de soi prend tout son sens.

Sans renoncer tout à fait à devenir sage-femme, j'envisage aussi d'intégrer une prépa-santé pour me consacrer uniquement à la préparation de ce concours auquel je souhaite me représenter. Sur Caen, l'unique prépa-santé est privée, tandis que la prépa-santé publique la plus proche se trouve à Cherbourg. Je formule néanmoins des vœux pour l'une et l'autre. Pour Caen, je renonce assez vite parce qu'il s'agit de faire un gros chèque que je ne peux décemment pas exiger de mes parents, avec deux frères, une sœur et un unique salaire ! Pour ce qui est de Cherbourg, mon nom apparaît sur la deuxième liste supplémentaire, autrement dit mes chances sont infimes, sans compter qu'il faudra envisager la location d'un appartement, etc. 

Sans que ce soit un choix par défaut, je renoue avec mes ambitions professorales, jusque là mises en veille, mais confortées par mon contact avec Mme Roué et M. Perrot au lycée Rostand, et je constitue un dossier pour intégrer une prépa littéraire au lycée Malherbe à Caen. Mes notes dans les matières littéraires au lycée sont sans équivoque et m'honorent d'un franc avis positif pour entrer en Hypokhâgne.

Je fais donc le choix raisonnable de ne pas m'entêter dans une carrière médicale dont les portes demeurent fermées alors que je suis attendue en Classe Préparatoire aux Grandes Ecoles à la rentrée suivante. Comme une confirmation de ma décision, un coup de téléphone émanant de la prépa-santé de Cherbourg m'informe un peu tardivement dans le courant de l'été que mon nom est remonté suffisamment dans la liste d'attente pour qu'une place me soit réservée : soit j'accepte cette opportunité qui s'offre à moi in extremis, pour préparer exclusivement le concours pendant un an, et le cas échéant, 4 années en Ecole de Sages-Femmes, avec l'urgence de trouver un logement sur Cherbourg, alors que le départ en vacances de la famille est imminent, soit - comme M. Douesnel me le dira plus tard, avec son humour bien à lui - "la médecine perd un scientifique de plus". Je n'ignore pas le privilège d'avoir été choisie pour entrer en CPGE à Malherbe, sans compter qu'une réforme impose dès l'année suivante de faire une première année de médecine avant de pouvoir entrer en Ecole de Sages-Femmes, une perspective qui ne suscite que trop peu d'enthousiasme chez moi. 

Licenciée de Lettres Modernes de l'Université de Caen, il me tarde de pouvoir entrer en action sur le terrain professionnel, plutôt que de poursuivre mes études, aussi j'opte pour une inscription à l'IUFM où j'ai la joie de retrouver mes professeurs de Français de lycée, en tant que formateurs. Je réussis le CAPES, dès le premier essai, et au bénéfice du caractère national du concours, suis exilée sur l'Académie de Nancy-Metz pour y faire mon stage au lycée Saint-Exupéry de Fameck. Entre l'annonce de l'affection et la rentrée à l'IUFM, vouée à l'installation des stagiaires et la préparation de la pré-rentrée dans les établissements de stage, j'ai trois jours pour remplir la Clio, traverser la France d'Ouest en Est et trouver de quoi m'installer pour une année scolaire, dont il s'avèrera qu'elle ne me laissera pas que de bons souvenirs.

Avec mes 21 points et titularisée en 3e visite, je suis promue TZR sur la zone Brie Centre de l'Académie de Créteil. En dépit de ce dont m'avait menacé le conseiller pédagogique, je profite de cette richesse du territoire pour apprendre, m'adaptant à la pluralité des réalités géographiques et sociales de cette académie, de la 6e au BTS, du Général comme du Professionnel, au fil de ces 12 années, et quelques établissements : La Tour des dames à Rozay en Brie, Jacques Prévert à Rebais, Lycée polyvalent de Coulommiers, Les Remparts à Rozay en Brie, La Grange du Bois à Savigny-le-Temple, Les Aulnes à Combs-la-Ville, Monthéty à Pontault Combault, Blaise Pascal à Brie-Comte-Robert, Le Grand Parc à Cesson, Les Maillettes à Moissy-Cramayel, Honoré de Balzac à Mitry-Mory, La Mare aux Champs à Vaux-le-Pénil, René Goscinny à Vaires-sur-Marne... Plus que des bâtiments, mes souvenirs sont émaillés de rencontres avec des collègues, mais davantage encore avec des élèves, dont certains ont laissé une empreinte indélébile sur mon cœur.

En 2016, à l'occasion d'un remplacement maternité, je découvre Vaires-sur-Marne à travers ses collégiens et c'est le coup de cœur. Là, où l'année précédente j'avais manqué de confirmer mes vœux de mutation pour des questions de timing, une nouvelle offre de poste fixe me conforte dans le sentiment que ma place est ici. 422 points, voilà ce que m'aura coûté le privilège d'occuper une salle numérotée 139 au Collège René Goscinny, et c'est sans aucun regret. 

Je veux saisir l'opportunité du poste fixe pour m'installer durablement, n'étant plus soumise aux aléas des affectations imposées par le Rectorat. Si je passe l'été 2017 à guetter les annonces immobilières, un peu désespérée, tout décante en trois jours : le vendredi, je vise une annonce de particulier à particulier qui me conviendrait parfaitement - un petit F2 sain, neuf et simple avec balcon orienté au soleil du matin donnant sur la caserne, dans la rue d'un des bâtisseurs de l'Ecole -, le lendemain, je visite conquise, et le dimanche 11h, j'obtiens un avis positif. Il ne m'en faut pas davantage pour être parfaitement heureuse : le lundi 19h, je signe, le mardi, je déménage et le jeudi, pré-rentrée. C'était écrit...

Désormais installée par choix, au cœur de la ville où j'exerce, parmi mes élèves et leurs parents, je suis partie prenante de la cité. Et c'est dans cette optique, que je souhaite prendre un engagement citoyen en devenant SPV. Cette décision mûrement réfléchie - à plus forte raison, parce qu'elle arrive sur le tard - est la résultante de circonstances dans un parcours de vie, qui me font envisager les missions du sapeur-pompier avec le plus grand respect et la gravité qui sied au fait d'être responsable d'une vie, et ce, dans l'humilité et la discrétion.

Au-delà d'une solidarité de fonctionnaire, j'y vois également l'occasion d'étendre le champ d'action de mes compétences. Disponible, je suis dynamique, volontaire et déterminée. D'un naturel posé et empathique, ma formation professionnelle a aiguisé mon sens de l'observation, mon esprit d'analyse, ma patience, et élargi ma bienveillance, de la même façon que le travail d'équipe m'est une évidence. En outre, parce que j'aime l'efficacité, œuvrer dans l'urgence m'est stimulant, autant que j'ai l'esprit d'initiative. Enfin, disciplinée, rien ne surpasse, pour moi, l'autorité et le respect de la hiérarchie.

Avant de rédiger une quelconque lettre de motivation, il faut que j'en vienne à ses déclencheurs.

Aux récits de mon cousin, qui ont toujours suscité chez moi curiosité et fascination, et à force d'observation, dont nul ne peut nier qu'elle est la première des qualités pour apprendre, j'en arrive à la conclusion que ce rêve n'est pas hors de ma portée, et enquêtant sur la féminisation de la profession, un reportage et une lecture suffisent à épuiser mes propres préjugés.




Elle s'appelle Odile Rubert. Elle est sapeur pompier volontaire, et au fil du reportage, occupée à corriger des copies, j'en déduis qu'elle est aussi professeure de Français (entre autres, en tant que PE en Segpa, me corrige-t-elle, pour être tout à fait exacte). Toujours en quête d'histoires de pompiers, je découvre aussi le parcours inspirant de la lieutenante-colonelle Lavenant, tandis que le Principal Patrice Romain éprouve ma patience, les Chroniques d'un pompier volontaire étant épuisées,  jusqu'en mai 2022, où elles reparaissent sous le titre Sauve qui peut, Aventures d'un pompier volontaire, aux éditions City. Non seulement, j'en conclue que le métier est accessible aux femmes, mieux qu'il n'a rien d'incompatible avec la fonction de professeur de l'Education Nationale. Il ne m'en fallait pas davantage pour être confortée dans ma démarche.

Tandis qu'au plan personnel, je répare le manquement de formation PSC1, et m'équipe d'un DAE de chez Lifeaz pour être "citoyen-sauveteur", au plan scolaire, c'est le début de mon projet Fahrenheit 451. A hauteur de mes connaissances, je m'évertue à instiller quelques éléments de culture de sécurité civile auprès d'un public qui m'est tout acquis, espérant en faire des ambassadeurs, et ambitionnant l'obtention d'un label sécurité pour le collège.

Voilà autant de valeurs et d'objectifs, augmentés de mon intérêt indéfectible pour l'humain, dont j'espère qu'ils fassent de moi un bon sapeur-pompier en même temps que la perspective de redevenir l'élève curieuse par un engagement comblerait mon appétence grandissante pour l'univers des sapeurs-pompiers.

Assez logiquement, je suis engagée localement en tant que membre du Conseil d'Administration du Collège, et de ce fait, titulaire à la Commission Hygiène et Sécurité, autant que je participe aux activités du Comité d'Education à la Santé, à la Citoyenneté et à l'Environnement (CESCE).


Au-delà de cet engagement personnel en faveur des autres, je fais surtout des rêves qui me fassent expérimenter la sécurité pour enrichir mon discours d'histoires vraies, vulgarisant un savoir au caractère exclusif, où derrière l'anonymat de l'uniforme, des sapeurs-pompiers s'appliquent à leurs missions dans le respect de devoir de discrétion.

Je me rêve en bleu pour faire enfin un accouchement.
Je me rêve en bleu pour qu'il y ait moins de Doriana et de Laurence. 
Je me rêve en bleu pour des Héléna pour qui les GQS sont arrivés trop tard.
Je me rêve en bleu pour armer mes élèves d'un savoir vital.
Je me rêve en bleu parce que la sécurité civile est l'affaire de tous et dès le plus jeune âge.
Je me rêve en bleu pour plus d'altruisme dans notre société individualiste.
Je me rêve en bleu pour qu'il y ait un sapeur-pompier par établissement scolaire (à commencer par les collèges).
Je me rêve en bleu pour rendre ce que les pompiers m'ont donné.
Je me rêve en bleu pour la petite gamine de 7 ans.
Je me rêve en bleu...


Et puis, parfois ça ne tient qu'à 15' d'une erreur, jusqu'à ce que... le rêve prenne corps.


© EstherProfesseur

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