"Dépêchez-vous ! Un seul sac par personne !"

"Je ferai mieux de me préparer, de faire un sac, comme ils disent." Voilà la résolution à laquelle la narratrice de A ceux qui ont tout perdu souscrit. Sagement.

Parue aux Editions des instants en janvier 2023, l'œuvre d'Avril Bénard pose une question essentielle : si dans une heure, le Signal National d'Alerte [son puissant destiné à interpeller, de jour comme de nuit, la population sur la survenue d'un danger grave, imminent ou en train de se produire et qui nécessite d'adopter un comportement réflexe de sauvegarde] retentit, qu'emporteriez-vous de votre vie dans un unique bagage ?

Que l'urgence émane d'une guerre, hypothèse la plus effroyable s'il en est, ou d'un de ces incendies auquel le changement climatique semble nous asservir, vengeur, l'auteure nous fait sentir l'impérieuse nécessité du kit d'urgence. 

Et maintenant les voix de la rue qui lui avaient fait monter l'escalier dans la panique lui revenaient à l'esprit. "Prenez vos affaires ! - N'emportez que le nécessaire ! - Dépêchez-vous ! Dépêchez-vous ! - Dépêchez-vous ! - Dépêchez-vous de faire votre bagage ! Seulement ce que vous pouvez porter, un seul sac par personne ! - Un seul sac par personne ! - Prenez vos affaires !" [...] "N'emportez que le nécessaire !" Et les yeux pressés qui regardent un être d'un extérieur sans prénom et sans nom, le nécessaire c'est ce qui permet de survivre, de ne pas mourir tout de suite ; un couteau, des médicaments, des allumettes, de l'argent, une couverture, de l'eau... Ils sont là dans leurs uniformes, avec leurs mégaphones, comme des sauveurs ou des fatalités, à croasser cette urgence d'une évacuation ; une nuée de corbeaux sur un champ de roseaux. Un refrain de départ. Ils sont arrivés comme des envahisseurs ; le sauvetage n'a pas le temps des égards. Ils n'envahissent rien pourtant. Leur drapeau n'est là que pour flotter sur leurs camions, et ne sera planté sur aucun coteau. Avril Bénard, A ceux qui ont tout perdu, "Manon et Jeanne" (pp. 26-27), Ed. des instants, 2023.

Partant de cet extrait, je proposerai de travailler sur l'opposition nécessaire et superflu, en insistant sur l'étymologie de "survivre", donc d'en déduire en quoi "un couteau, des médicaments, des allumettes, de l'argent, une couverture, de l'eau" sont utiles à la survie (kit de survie, survivalisme...), de telle sorte que les élèves puissent déterminer quels sont les objets qui leur seraient essentiels en cas d'urgence - une façon de leur faire prendre conscience de ce qui compte vraiment pour eux -, à la précaution que "Le nécessaire presque anonyme. Les objets de troc, de lutte, de survie. Les objets qui aident à durer. Les objets du chacun pour soi." (p. 47) sont universels. [Activité SDIS77 "Fais ta valise"]

Puisqu'en 3e, il s'agit de travailler sur l'écriture de soi (Objet d'étude : "se raconter, se représenter") et que la guerre (à l'instar du déclencheur de l'action dans le roman d'Avril Bénard) occupe une grande partie du programme d'Histoire (la petite valise juive, sur le quai de gare direction Auschwitz, dont les déportés de Primo Lévi sont délestés ou réclamée par M. Pierre Lévi-Leleu), j'inviterai mes élèves à réunir des objets qui, ajoutés au kit de survie pour constituer leur kit d'urgence, leur permettraient de se raconter aussi bien que de tuer le temps. Celui de l'attente et celui du souvenir. Cela implique des élèves qu'ils se projettent, qu'ils se rêvent une carrière et un destin, collectant des objets qui symbolisent leurs objectifs d'avenir et fantasmes de bonheur, comme ceux qui sacralisent l'enfance.

En guise de déclencheur à cette activité, le caractère chorale du roman y invitant, je proposerai deux extraits en regard, à commencer pour celui de la dame âgée (Extrait 3), puis celui de Jeanne. Le passage dédié à la dame âgée invite à réfléchir à ce qu'on laisse derrière soi, au terme d'une vie, en héritage, entre valeur et vacuité, alors que l'autre, une fois résolue l'énigme des implicites, évoque avec l'innocence de son âge, l'importance des choses immatérielles.

Pour ce qui est de l'écrit, je demanderai aux élèves de justifier le choix de 4 des objets réunis dans leur kit d'urgence, avec la contrainte que l'un soit essentiel à leur survie, le deuxième lié à l'enfance, le troisième à leur avenir espéré et le dernier pour le symbole immatériel. "Dans mon kit d'urgence, dont j'assume entièrement le contenu, et qui me raconte aussi bien pour la personne que j'étais enfant que pour la personne que je souhaite devenir, si le danger pour lequel j'ai dû me charger de ce sac m'épargne, vous trouverez..."

© EstherProfesseur

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