Jeudi 11 juillet 2019, aux alentours de 17h-18h.
Une année de travail, deux jours d'épreuves, un instant pour la sentence "Admis ? Admis avec mention ? Refusé ?", une seconde pour que le visage du candidat - ne parlons plus d'élève, la 3ème est finie, ils quittent le collège - s'éclaire d'un "Oui, j'ai mon brevet !" ou s'assombrisse de désolation...
C'est le jour de publication des résultats du DNB session 2019, pour l'académie de Créteil. Mon doigt glisse le long d'une liste de noms placardée au tableau d'affichage devant le collège, et comble de suspense, comme les six pages format A3 ne sont pas rangées dans l'ordre alphabétique, mon regard s'affole courant de gauche à droite, de bas en haut parmi les 173 noms inscrits à l'examen. Correction : ils étaient 166 à s'être présentés à au moins une des épreuves. Dans la majorité des cas, pour cause de DNB retardé, les absents auront pris la clé des champs dès le 29 juin. Quoique l'année scolaire se finisse officiellement le 5 juillet, ne sont pas rares les élèves dont les parents auront pris des dispositions pour profiter des tarifs attractifs hors vacances scolaires en anticipant le départ sous le soleil des tropiques. Qu'à cela ne tienne, "des circonstances familiales justifiées seront un critère suffisant pour passer le brevet à la session de septembre" et si l'expression nébuleuse de "circonstances familiales" était trop vague, Mr le Ministre de rajouter :"J'ai demandé aux Principaux de collège d'avoir une vision large de ce qu'est un empêchement, et donc en montrant une preuve, comme le fait qu'on a un titre de transport qui n'était pas annulable"... Certes, moi aussi, j'aimerais bien profiter de ces tarifs hors vacances scolaires... A propos de restaurer la confiance, si l'Education Nationale n'était plus un self-service...
Je m'arrête sur un nom, me réjouit intérieurement, soulagée que ça passe, malgré tout... Malgré le manque de travail personnel, et les notions pas acquises, malgré les heures de cours passées à discuter, ou affalé sur sa chaise, malgré les circonstances atténuantes liées à son environnement familial, ou malgré le DNB blanc qu'il a séché... A ma honte, je n'y croyais pas... Ils sont 7 autres comme lui, à obtenir leur DNB avec une note de 400/800. Tout pile ! Difficile de s'empêcher de penser qu'en commission d'harmonisation, on a fait en sorte que...
Ils sont 8 autres noms à ne pas apparaître sur la liste, tout bonnement parce qu'ils sont refusés... Notamment celui dont je cherchais fébrilement le patronyme. Et là, c'est un écroulement intérieur... Leur réussite est aussi la nôtre, leur échec est aussi le mien...
Ce n'est pas faute d'avoir sonné l'alarme tout au long de l'année... Mais quand on choisit de faire le clown, de rire au dépend des autres (y compris des excellentes élèves dont on raille le mode de vie), de bouder quand la professeure nous reprend, de dormir sur sa table, ou de s'offrir un très long week-end à courir après le ballon - en Espagne s'il vous plaît - à deux semaines et demie des épreuves, en y sacrifiant trois heures de poésie et une sortie au "Goût des autres", on ne peut pas attendre d'être récompensé pour une telle attitude. A mes heures rabat-joie de service, avec force sermons moralisateurs, j'ai fait tout ce qui était en mon pouvoir pour provoquer une prise de conscience. Que voulez-vous, je crois fermement à la valeur du travail... Comme j'aime à le leur seriner : rien ne tombe du ciel (surtout que je ne suis pas le Père Noël) et le DNB, ce n'est pas une pochette surprise !
Alors, quand M. m'assure, avec la dose de défi et de complicité qu'il faut, en agitant son doigt dans l'air : "Mais ça va le faire, Madame, ne vous inquiétez pas... Même que je viendrai vous voir pour vous dire que j'l'ai !", je surenchéris, tellement enthousiaste que je lui couperai la parole : "Mais M., je serai la première à te féliciter !!" Dussé-je couper court à cette idée pré-conçue que "maintenant, ils (qui, "ils" ?) le donnent à tout le monde !", je l'entends encore me demander, incrédule : "Y en a vraiment qui ne l'ont pas eu l'année dernière ?" Je fais encore l'oiseau de mauvaise augure : "Tu ne crois pas que ça se saurait si on était à 100% de réussite !?" On s'en approche : on est à 97%, et rien que pour cela, 400/800, ça compte.
Alors oui, il faut l'admettre : ce n'est pas la fin du monde de ne pas avoir son DNB, dans la mesure où ce premier diplôme n'a pas de valeur discriminatoire pour accéder à la suite de la scolarité en lycée. Cet élève-ci a finalement eu la sagesse de réviser son vœu de Seconde GT en Seconde Pro, et je lui recommanderais même de repasser le DNB en candidat libre, rien que pour me faire enfin avoir tort... Ma prière, c'est que cette expérience soit un tel électrochoc qu'il accorde plus de considération à la parole professorale et qu'il se révèle avec de vrais et justes succès dont il viendra me narguer...
Bien plus facile que d'encaisser l'échec, louer les mérites de ceux qui finalement n'avaient pas besoin des professeurs pour réussir, parce qu'ils ont fait leurs les bons réflexes de travail : Lola, Chloé, Elisa, Gabriel, Thibault, Selma, Clara, Tiphaine, Armelle, Elodie, Romane, Mathieu, Ana, Cyrelle, Cécile, Noémie, Charly, Fiona-Anaëlle, Charlyne, Hélio, Coline, Laurianne, Naomi, James, Tania, Sara... Une cohorte moins brillante que l'an dernier (24,8% de mentions TB contre 47,8% en 2018) mais une progression des mentions B et AB.
A souhaiter que le soleil d'été soit un baume pour mon cœur lourd de cet échec prénommé M.
Belles vacances d'été 2019.
© EstherProfesseur
#DNB #seracontersereprésenter #LePremierhommeAlbertCamus
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