vendredi 20 mars 2020

L'histoire des mots à travers les âges.

"Pécho, c'est chaud !" (Roger & Liliane)


D'où viennent les mots qui remplissent les pages de notre dictionnaire ?

80% de Jules César, 100 mots de gaulois, 1500 mots qui viennent des Anglais, 1000 mots italiens ou encore 1000 mots de l'arabe.


Que l'on dise du latin et du grec ancien, que ce sont des langues mortes est une aberration, dans la mesure où elles ne sont jamais plus vivantes qu'en nous retraçant l'évolution de la langue depuis son origine, donc l'étymologie du mot.

Notre nom cheval vient du latin caballus désignant un cheval de travail (par opposition au latin equus qui désigne, lui, le cheval de parade ou de combat), et se transformera en mot d'ancien français caval au Moyen-Âge. On saisit alors mieux d'où nous vient, par exemple, le mot cavalier(s). Toujours attaché au domaine du cheval, du latin equus, nous avons aussi hérité de l'adjectif équestre tandis que du grec ancien hippos, nous avons la trace dans l'adjectif hippique.


Au gré de l'Histoire de France, notamment des conquêtes de territoire ou des vagues de migration, la langue française a emprunté à d'autres langues étrangères. Si le français est riche de mots anglais comme parking, shopping ou tchatter - là, où nos cousins québécois persistent à dire stationnement, magasinage ou clavarder (mot valise qui désigne l'action de bavarder par claviers interposés) en bon français de France (La chanteuse des "Maudits Français", Linda Lemay, te fait une leçon, à moins que tu préfères Solange te parle) -, les Anglais se sont aussi appropriés quelques uns de nos mots comme : constitution, illusion, revolution, government, management... Et merci qui ? Guillaume le Conquérant, duc de Normandie et Roi d'Angleterre.

Au sirop, clebs, smala, ramdam, azur, nouba, zéro, wech de l'arabe, ajoutons l'exemple de niquer. Les "J'vais t'niquer ta race !" ou pas moins coloré "Va niquer ta mère !" ont toujours le vent en poupe dans la cour de récréation. Alors, interrogeons-nous sur le sens de ces expressions employées à tort et à travers. 


Roméo et Juliette par Baz Lurhmann : "faire la nique"

Tiré de l'arabe nikah ("posséder charnellement", "faire l'amour", vulgairement "baiser" ou "attraper, punir, provoquer physiquement") qui nous a donné en français, dans un emploi transitif : niquer et son dérivé forniquer (A ton dictionnaire : je te laisse le loisir d'en découvrir le sens par toi-même) ou l'expression faire la nique qui signifie "se moquer de, narguer qqun". (https://www.cnrtl.fr/etymologie/nique) Édifiant, n'est-ce pas ?

Bref, ta Maman sur la tête de laquelle tu jures trop souvent a de quoi avoir le seum. Le seum, écrit sum, désignant en arabe "le poison, le venin", avoir le seum signifie donc "avoir la haine, avoir la rage, être dégoûté, avec un sentiment fort de frustration".


Comment la langue française s'enrichit de nouveaux mots ?

A la différence des langues anciennes (qui ne sont plus parlées), les langues vivantes sont en perpétuelle élaboration. Le français n'y fait pas exception. C'est surtout la pratique de la langue à l'oral qui rend sa transformation plus frappante, et d'autant plus qu'elle est tributaire d'effets de mode. A force de répétition, toutes catégories sociales confondues, une faute de langage se normalise : les erreurs d'usage façonnent aussi la langue.

Une victime de ces effets de mode : le verlan, sorte d'argot qui propose un envers de la langue, par l'inversion de l'ordre des syllabes, dont Jean-Paul Colin, auteur du Dictionnaire de l'argot français et de ses origines, situe l'origine au XVIIe siècle, mais dont Alain Rey considère qu'il est devenu relou dès les années 2010. Au revoir, les zarbi (bizarre), keufs (flics), ouf (fou), chelou (louche), caillera (racaille), beur (arabe), meuf (femme), véner (énervé), reum (mère), à donf (à fond), renoi (noir), céfran (français) et pécho (choper) ! Les jadis ambassadeurs du verlan, rappeurs et vecteurs de la culture hip-hop, délaissent cet argot de banlieue pour puiser dorénavant dans leurs langues maternelles. En réaction à la crise, les communautés se replient sur la cellule familiale et dans les cités, les mots de la communauté ont la primeur pour communiquer dans l'entre-soi.

Parfois, la langue fourche, à défaut de neurones connectés, et enfante des néologismes, de néo "nouveau" et de logos "parole". Qu'ils soient réfléchis, fabrication poétique emprunte de fantaisie, ou inconscients, leur caractère inédit amuse... ou devient amusant ! Échappés de certaines bouches supposées plus cultivées, on les taxera plutôt de barbarismes à l'envi politiciens ; ils deviennent moins pardonnables.

Si ce n'était à des fins sarcastiques, même la bravitude de Ségolène Royal (https://www.ina.fr/video/I09082529) inventée en lieu et place de bravoure à l'occasion de sa visite en Chine en janvier 2007 semble avoir trouvé sa légitimité de mot-valise (attitude brave ou selon Jack Lang "plénitude d'un sentiment de bravoure") chez Shakespeare : dans le Songe d'une nuit d'été, mis en scène par Nicolas Briançon en septembre 2011 à Paris, tandis que les artisans-comédiens amateurs s'apprêtent à donner une représentation de la "courte et fastidieuse scène du jeune Pyrame et de son amante Thisbé. Farce vraiment tragique" devant des hôtes prestigieux (le duc Thésée, la duchesse Hippolyte et deux jeunes couples dont on a célébré les noces, Lysandre et Hermia, Démétrius avec Héléna.), Quince présente ainsi l'arc narratif du héros : "Arrive Pyrame, jeune, grand, sexy, il trouve le manteau ensanglanté de Thisbé. Sur quoi, de sa lame, de sa sanglante et coupable lame, avec bravitude, il embrocha sa sanglante et bouillonnante poitrine."

Nouvelle preuve du dynamisme de la langue : les réminiscences linguistiques. Vous est-il déjà arrivé de conjuguer le verbe intransitif malaiser qui a le sens de "gêner, incommoder, mettre mal à l'aise" ? "Je malaise, tu malaises, il malaise, nous malaisons, vous malaisez, elles malaisent, que vous eussiez malaisé, ils malaiseraient, etc." Est-ce que vous avez souvent rencontré ce verbe au cours de vos lectures ? Essayez, n'importe quel traitement de texte enrubanne le mot d'une vaguelette rouge. Et pourtant, si une tâche est malaisée (participe passé employé comme adjectif), au sens de "difficile à réaliser ou faite avec peine, en exigeant des efforts", il faut bien que l'adjectif verbal aussi participe présent malaisant, au sens de "qui engendre le malaise, qui suscite une situation inconfortable (du point de vue moral, notamment)", vienne du verbe malaiser... Or, on dit plus facilement "mettre qqun mal à l'aise", "être mal à l'aise" ou on emploie la parade des synonymes comme "c'est embarrassant" ou "gênant". Si malaisant semble sonner faux, c'est tout simplement parce que ce verbe, attesté dans l'ancienne langue française et circonscrit au Berry, la Normandie et l'Ille-et-Vilaine (précisément des régions d'où sont partis les colons direction le Québec), est si peu employé, qu'il relève d'un emploi littéraire, voire vieilli. A ce jour, malaisant ne figure ni dans le Robert, ni dans le Larousse. Néanmoins, très usité au Québec, comme équivalent de malaisé (une chose bien malaisante à faire) ou avec le sens de "qui rend mal à l'aise, qui crée le malaise" (un moment malaisant, une situation malaisante), malaisant s'est fait une jolie réputation sur la toile. Plébiscité des jeunes et abondamment employé sur les réseaux sociaux, malaisant - sans avoir encore remporté tous les suffrages chez les francophones - s'applique à des propos, des comportements, des images, films ou situations qui créent une gêne (Diffuser de nudes sur Snap ou Insta est propice à des situations malaisantes, par exemple).


Au lieu d'alimenter le conflit générationnel où on voudrait qu'à chaque génération correspondent ses dialectes et ses codes, les mots peuvent aussi être l'occasion de certaines cocasseries... Nehla et Roger nous en donnent la preuve : https://twitter.com/fraiches/status/1068093351260508160?lang=fr


"On est les héritiers plutôt du gros balaise en cuirasse que du petit marrant avec des plumes. On est tous les enfants non pas d'Astérix mais de Jules César." Lorant Deutsch. (in L'équipée sauvage avec Matthieu Noël, émission Europe 1, en date du 26 février 2020,  disponible en podcast)


A retenir : Tous les mots de notre langue sont formés à partir d'une racine, héritée des langues anciennes, ou empruntée à des langues étrangères : c'est l'étymologie. Et c'est sans conteste à l'oral, que la langue est la plus vivante.

Exercice : Chercher l'étymologie de "convivialité" (prohibée en contexte de confinement) et de "casanier" (fortement plébiscité).


Recommandations :
L'étymologie avec Pico Bogue, d'Alexis Dormal & Dominique Roques, chez Dargaud (en 2 tomes, à l'heure actuelle)

© EstherProfesseur

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