mercredi 23 février 2022

L'Ecole, cette idée folle !

J'ai découvert M. Patrice Romain avec ses Mots d'excuses, au moment de la sortie de l'intégrale (Michel Lafon, 2014), et depuis je me délecte de ses anecdotes, qu'elles aient été archivées dans Nos chers petits (Flammarion, 2015) ou dans Quand un proviseur se lâche (Le Cherche-Midi, 2017). 

Au point de m'avoir inspirée un exercice d'écriture "à la manière de"...

Dans une séquence 4e, portant sur l'objet d'étude "Interroger le réel", et plus précisément interroger le réel à/de l'Ecole (où j'avais par exemple questionné la représentation de la réalité scolaire dans l'audiovisuel français, pour me limiter à ce que mes collégiens pratiquent de l'intérieur), il m'est arrivé de proposer à mes élèves de produire eux-mêmes un mot d'excuses, en les invitant à la fantaisie. La difficulté de l'exercice réside certes dans le fait de se remémorer - ou d'inventer, pour les plus sages - un forfait, mais surtout de se glisser ensuite dans la peau du responsable légal pour rédiger le mot d'excuses... Dans ce décalage, augmenté par l'humour, les écrits se sont finalement révélés assez fameux, encourageant le professeur à soupçonner la vérité du méfait derrière l'imagination mensongère...

Sujet de rédaction :

Au prétexte d'un forfait (une absence, une bêtise ou autre, de votre choix), commis par votre enfant scolarisé au Collège R. Goscinny, vous rédigerez une lettre d'excuses à l'intention de M. Le Principal.


Quelques conseils :

- le scripteur : il faut vous mettre dans la peau du parent/responsable légal qui doit excuser le comportement de son enfant indiscipliné. En tant que référence parentale, vous devriez être un modèle pour l'enfant autant que vous êtes responsable de l'éducation que vous lui inculquez. C'est pourquoi, on peut en profiter pour évoquer le sentiment du parent : est-il honteux de la bêtise de son enfant ? En colère ? Ou, au contraire, dans le déni et fier de son "digne héritier" ? Cela interroge aussi la posture parentale. Seriez-vous le parent d'un "enfant-roi" qui a raison même quand il a tort ? Seriez-vous autant en adoration devant votre enfant, qu'avec la plus grande sincérité et la plus grande naïveté, vous excuseriez son mauvais comportement comme si ce n'était pas grave ? Ou alors allez-vous faire preuve d'une telle mauvaise foi que l'excuse va se distinguer par son absurdité ? Peut-être allez-vous faire le choix de la provocation, pour excuser votre enfant ? 

- le destinataire : M. Le Principal. Pas de mots d'excuses écrits à la va-vite dans le carnet de correspondance, votre courrier doit manifester votre déférence : le niveau de langue utilisé sera soutenu et la tournure de vos phrases sera travaillée, même si vous devez faire preuve de sincérité. Comme si vous vous adressiez à M. Le Président de la République !

- le forfait : mettez-vous une minute à la place de vos parents, s'ils avaient à se porter garant, c'est-à-dire assumer qu'ils sont les responsables de votre éducation, pour la pire bêtise que vous auriez faite, ou bien, imaginez-vous parent (dans quelques années !) d'un enfant qui ferait bêtise sur bêtise, comment justifieriez-vous son mauvais comportement ? Qui de la honte ou de l'amour à l'égard de l'enfant aura le dessus ?

- la forme : votre écrit prendra la forme d'une lettre officielle, rédigée sur une feuille blanche, avec la mise en page adéquate, et de préférence tapuscrite (reportez-vous à la synthèse sur la lettre !), ou à défaut, soignez-la en dessinant des lignes droites au crayon à papier pour les gommer une fois l'encre de votre texte sèche.

- l'humour : nul besoin de chercher absolument à être drôle, il s'agit presque d'un humour malgré soi qui va émaner du décalage entre l'absurdité de l'excuse et le caractère très officiel de la lettre rédigée avec le solennel qui sied au rang du destinataire. Aussi, soignez votre travail !

Quelques éléments d'évaluation :

La FORME : comment est-ce dit ? Le FOND : qu'est-ce qui est dit ?
C'est une lettre officielle, dont le destinataire est identifié On y lit un mot d'excuses, rédigé par un parent
Propre et bien mise en page Pour le forfait précis d'un collégien
Dont le niveau de langue soutenu et le vocabulaire recherché sont caractéristiques d'une lettre d'excuses Témoignant du sentiment du parent (gêne, honte, colère, arrogance, provocation, sincérité, mauvaise foi...)
Et dont la qualité de l'orthographe est satisfaisante Et, à la manière de Patrice Romain, un peu d'humour grinçant...

Petit florilège

Méthodologie : brochure de synthèse sur la lettre


Si je ne me suis pas encore attelée aux essais de l'auteur, je savoure ces instantanés et davantage encore pour ce qu'ils signifient plus que pour ce qu'ils disent. En effet, épurées de toute subjectivité adulte, ou avec la spontanéité de l'adolescence, elles disent beaucoup de notre Ecole, avec une innocence désarmante et une lucidité éclairante. Microcosme à l'image de notre société, avec ses petites lâchetés, ses moments de grâce, ses joies éphémères et ses drames intimes... Appréciez plutôt !

Quartier 
Je reproche à Tarik (6e) de ne pas avoir fait ses devoirs. Une fois de plus... Et une fois de plus, il a une bonne excuse : "Vous savez monsieur, là où j'habite, on essaie d'abord de rester vivants. Alors les devoirs..." (p.209)
 
Tête à claques
Marine (6e), l'air ingénu :
"Monsieur ! Vous avez le droit de virer un prof s'il ne fait pas son travail ?
- Ah non la miss, ça n'entre pas dans mes attributions !
- Ben il y en a qui ont de la chance alors !" (p.247)
 
Zen
Hamid (4e) est - encore - dans mon bureau...
"Qu'est-ce que tu vas devenir plus tard, Hamid, si tu continues comme ça ?
- J'en sais rien... Je ferai comme mes parents : je toucherai les allocs !" (p.274)


Glanant quelques titres dans le genre des Histoires insolites de pompiers, je m'enquiers de pouvoir lire Chroniques d'un pompier volontaire, dont je réalise qu'elles ont été écrites par M. Patrice Romain. Hasard de mes pérégrinations numériques qui ajoute un supplément d'intérêt en moi, avec une résonance singulière. Au service du même Ministère, M. Romain, en plus d'avoir été directeur et principal, a également été pompier volontaire, et quelques précieuses anecdotes en gardent le témoignage... En guise de consolation, à défaut que les Chroniques soient encore disponibles !

Logique 
Lors de l'exercice incendie, Théo (4e) a tenté de mettre le feu à une poubelle. Explication du bébé-pyromane adepte d'authenticité :
"C'était pour faire plus vrai !" (p.140)
 
Oups
Je convoque Eric (5e), soupçonné de déclencher intempestivement les alarmes incendie du collège, afin de lui expliquer que cet acte peut avoir de graves conséquences :
"Si les pompiers se déplacent ici et que, au même moment, ta maman fait un malaise à la maison..." 
Eric n'a pas enregistré le début de la phrase. Il pâlit, murmure "Ma mère a fait un malaise" et s'évanouit.
Sa maman est en phase terminale de cancer... (p.180)
 
Pompier
"Monsieur, c'est vrai que vous avez été pompier ?
- C'est vrai, oui... sapeur-pompier volontaire... Mais c'était il y a bien longtemps !
- Moi aussi, je voudrais l'être !
- Je te souhaite de réaliser ton rêve, Aymeric, car c'est un beau métier !
- Et c'est vrai que ça marche bien, avec les filles ?"
*
"Monsieur, il paraît que vous avez été pompier !
- Exact, mais volontaire seulement !
- Mon père, il vous demande pour rire si vous avez toujours pon pied pon œil !" (p.193)


Pour en savoir davantage sur Patrice ROMAIN et ses Collégiens casse-couilles !

© EstherProfesseur

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