samedi 16 février 2019

Le roi du peigne.

Mardi 12 février 2019, 9h25-10h20 (M2), en salle 139.


Bien alignés le long du mur, les élèves de la classe de 4èmeD entrent sagement en classe. Nous nous saluons avec enthousiasme et respect. Rebroussant chemin alors qu'il vient de franchir le seuil de la salle, Iddy me questionne : "Madame, pourquoi vous dites toujours "Bonjour Iddy !" ?" Je lui rends simplement la politesse : il a invariablement la délicatesse de me dire "Bonjour Madame Thomas !" - ni "Bonjour", ni "Bonjour Madame", un franc "Bonjour Madame Thomas !" -, le sourire bien attaché sur sa frimousse ronde, alors j'ai beaucoup d'honneur à le saluer par son prénom. Suit Dominique, que j'interpelle au passage. Il pense mieux réfléchir son peigne à la main, plutôt qu'avec un stylo ! "Tu me ranges ton peigne dans ton sac, je ne veux pas le voir !... Sinon, je te le prends et je le casse en deux, direction la poubelle !", ajouté-je avec un brin de menace, tandis que je fais asseoir la classe.

Ce n'est déjà pas la première fois que je lui fais gentiment la remarque que cet outil lui ait d'aucun secours, au collège. "Est-ce que je sors mon sèche-cheveux, mon fer à lisser et mes bigoudis de mon sac pour te faire cours, moi ?... Non !", devant la classe à témoin.

Dina se vante. "Ça m'est arrivé de l'ramener au collège, mon fer à lisser, dans mon sac !" Un peu inquiète et curieuse, je l'interroge : "Tu ne vas pas me dire que tu te refais une beauté aux toilettes !?" Elle objecte : "Non, non, y' a pas de prise dans les toilettes, d'façon !" A ma mine dubitative, elle renchérit : "Après le collège, au Prado !" Enzo s'assure que je connaisse ce qu'est le Prado. J'ai beau avoir emménagé récemment, je suis suffisamment renseignée sur leur repère. "En face du collège", ajoute-t-il. A titre d'anecdote, comme un avertissement, je relate :"Après on s'étonne d'avoir affaire à des élèves de BTS MUC, qui se peinturlurent les ongles en vert grenouille sous le nez du prof de Français !" Brouhaha au sujet de Sheryhane. A l'intention de l'élève, qui s'agite sur sa chaise, gênée, indubitablement coupable, j'adresse, avec un sourire de connivence :"En école d'esthétisme, et seulement dans ce contexte !"

Un peu laborieusement, la classe est occupée à formuler des arguments pour répondre à la question suivante : "Pourquoi faut-il lire des romans de science-fiction comme Le Passeur de Lois Lowry ?" Dina et Noura proposent un premier argument, assez spontanément : Lire des romans de science-fiction permet de développer son imagination. En guise d'exemple : Jonas vit dans un monde totalement étranger du nôtre, où les couleurs n'existent même pas. Il faut donc faire un effort d'imagination pour nous représenter Jonas évoluant dans sa communauté.

En dépit de mon avertissement, je le surprends en flagrant délit ! Mon Dominique est en train de se masser le cerveau, les dents du peigne traçant des sillons dans ses cheveux crépus. Je ne peux pas me discréditer. Je lui confisque son peigne et conformément à ce dont je l'avais prévenu, je plie le peigne en deux, qui résiste un peu. Je le glisse entre mes genoux, tout en projetant de racheter un peigne pour que ce ne soit pas au détriment de ses parents. Le peigne cède sous la pression de mes genoux, une dent s'envole dans l'air jusque devant le tableau. Quoique je sois en pleine démonstration d'autorité, un peu fébrile, je me vois déjà devoir rendre des comptes et expliquer aux parents pourquoi j'ai brisé le peigne de leur fils, en classe. Je laisse choir le peigne dans la poubelle. Pourtant, j'assume et soutiens à l'intention de Dominique que ça ne me pose aucun souci de décrocher mon téléphone pour expliquer mes agissements. Enzo confirme que j'ai eu raison d'agir ainsi, je suis rassérénée.

Dominique a la mine déconfite, sans doute un peu estomaqué par mon audace. De l'autre côté de la classe, les yeux écarquillés, la bouche de Léon fait un O derrière sa main. Aux murmures à peine feutrés, je comprends soudainement que Léon a donné ce peigne à Dominique. Égratigné dans son amour-propre, Dominique minimise l'incident en marmonnant. 

Le cours reprend. De devant le tableau, la démonstration me semblait faite : se peigner en cours de Français est une attitude inappropriée et qui ne participe pas à signaler l'intelligence de l'élève.

Dix minutes de cours se seraient-elles écoulées, que voilà mon Dominique surpris en pleine récidive. Il a de nouveau en peigne en main, qu'il vient de passer dans ses cheveux. Je l'apostrophe fermement : "Rapport ! A ce niveau-là, Dominique, c'est de la provocation à mon égard !"... Je suis dépitée.

La semaine dernière, je me targuais des progrès de l'élève en terme d'attitude, que je ne me privais pas de signaler dans le carnet de correspondance à la page "Progrès et mérite" (après vérification, non visé par les parents).

L'heure s'achève. Dominique quitte la salle sans un au revoir. Le récit bruite dans le couloir. Tout en les observant depuis le bureau, deux élèves se glissent dans ma salle et vérifient la présence du peigne cassé dans la poubelle.


Bref. Dominique s'est fait une réputation de "narcissique" auprès de ses camarades qu'il s'applique à entretenir : il employait - j'ose l'imparfait au lieu du présent - son cours de Français à discipliner son cheveu rebelle.

Mais je croyais que le roi du peigne, c'était Travolta !!??
Blow Up : Coup de peigne pour Travolta dans La Fièvre du samedi soir.


© EstherProfesseur

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