vendredi 5 juin 2020

Je suis ce que j'écris

"Maison de correction recherche fautes d'orthographes", L'Os à moelle, Petite Annonce, de Pierre Dac. 

Parents et élèves, est-ce que vous ne vous attendez pas vous-mêmes à ce que le professeur de français maîtrise son orthographe ? C'est indéniablement un critère de légitimité.

Quand on occupe un poste élevé, pour sauver l'honneur, il est plus facile de plaider l'étourderie plutôt que d'assumer, autant que pour quelqu'un qui exerce un métier dont le décorum impose moins de respect, l'orthographe devient immédiatement un marqueur social.


                                                                                            (Je ne suis pas l'auteure du commentaire.)


Loin de moi l'idée de hiérarchiser les métiers : il n'y a pas de sous(ou sot)-métier. La crise sanitaire du coronavirus a largement révélé la réalité de certaines professions, d'apparence moins gratifiantes voire invisibles, mais fondamentalement essentielles. Il y a juste des métiers. Et surtout un moyen de se prendre en charge. Et puis, à chacun ses talents et ses compétences.

Quoique je me sente un produit de l'ascension sociale, j'aurais tort de m'enorgueillir de ce privilège, quand je réalise la somme de sacrifices concédés par mes parents : l'unique salaire d'un papa miraculé et une maman, secrétaire en congé parental, pour une famille nombreuse. Il faut toujours avoir la sagesse de se rappeler d'où l'on vient : petite-fille d'artisans potiers et d'agriculteurs, ce sont mes grands-parents dont l'exemple m'a inspiré le goût patient et acharné du travail et c'est à ma Maman, qui nous a accompagnés, tous les quatre, que je dois mon amour de la langue. Quant à mon Papa, éducateur spécialisé en CAT, il m'a garanti d'avoir la liberté financière de me consacrer à des études supérieures, et ce n'est pas rien. Ça fait ce que je suis aujourd'hui, dans une salle de classe, face à 130 adolescents par année.

Et pourtant, avant de me transmettre cette appétence exigeante pour la maîtrise de la langue française ou qu'elle-même ne devienne secrétaire, donc manie aussi bien les chiffres que les lettres, ma Maman raconte volontiers : "en ortho, je les cumulais, parce que je perdais tous mes moyens". Incarné sous les traits de Mlle Chapuis, femme gentille de prime abord mais rigide et avec de la personnalité, son bourreau s'appelait Dictée et lui tordait tellement les boyaux qu'elle vomissait tous les matins. Au milieu de l'année, alertée par ces signes, ma grand-mère résolut d'y sensibiliser la maîtresse lors d'un entretien. Dès le lendemain matin, Mlle Chapuis prit ma mère par le cou, elle vit alors sa maîtresse autrement et tous ses remparts intérieurs s'écroulèrent. L'été suivant, la lecture assidue de Toinon et l'oison imprima un souvenir indélébile, et à la rentrée, inaugurant une nouvelle année scolaire sous l'égide de Mlle Chapuis, la première dictée se solda par une unique faute. Si ma Maman avait des facilités avec les chiffres, le français lui demandait davantage de travail, que le tête à tête élève-professeur avait dynamisé au point de lui laisser un très bon souvenir de cette maîtresse d'école. Cette anecdote m'a inculqué l'idée que rien est irréversible, pourvu que l'on travaille.

"Monsieur, je suis l'offensé, j'ai le choix des armes, je choisis l'orthographe. Donc, vous êtes mort." En réponse à une lettre d'insultes comportant beaucoup de fautes d'orthographe, de Léon-Paul Fargue. 

Pourtant si nos fautes d'orthographe ne nous définissent pas, elles sont garantes d'un propos et le crédibilisent. Qui aurait envie de prendre au sérieux quelqu'un dont l'orthographe n'inspire ni respect, ni politesse ? ("L'orthographe est de respect ; c'est une sorte de politesse." Alain, Propos sur l'éducation, 1932). Même les écrivains n'y coupent pas : du "lapen çovache ême le ten" des Mots de Jean-Paul Sartre au "Il referme le cahier, il me le rend et il dit : "Avant d'écrire un roman, il faut apprendre l'orthographe" dans Enfance de Nathalie Sarraute. Sans doute est-ce là une autre raison pour laquelle les entreprises ont volontiers recours à des stages de remise à niveau en orthographe, proposés, par exemple, par le Projet Voltaire !



Sinon, il y a Bescherelle ta mère pour t'épingler ! Et le mot de la fin, à Daniel Pennac, cancre devenu professeur, extrait de son Chagrin d'école : "Les maux de grammaire se soignent par la grammaire, les fautes d'orthographe par l'exercice de l'orthographe, la peur de lire par la lecture, celle de ne pas comprendre par l'immersion dans le texte."

 © EstherProfesseur

#Français
#del'importancedel'orthographe

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